INTRODUCTION MÉDIATIONS MÉDITERRANÉENNES

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INTRODUCTION

ABDERRAHMAN TENKOUL*

C’est dans le cadre de la Chaire « Interculturalités méditerranéennes », labélisée par l’UNESCO en 2023, que cette revue est fondée grâce à l’appui du Président de notre Université. Le titre qu’elle porte, Médiations méditerranéennes, est emblématique de la mission qu’elle veut remplir dans le champ des recherches et des études en rapport avec l’espace méditerranéen. En ce sens qu’elle veut assurer la liaison entre différents pans de la culture et de la société appartenant à la Méditerranée. Pans relevant du local et du global. Aussi bien à l’intérieur d’un même pays que d’un pays à l’autre de cette région. Car longtemps, à l’antipode de tout bon sens rationnel, les cultures ont été séparées les unes des autres de façon discriminatoire, ou opposées les unes contre les autres comme si elles constituaient des entités monolithiques.

Ainsi il n’est pas étonnant de rencontrer, dans moult publications anciennes et récentes, des expressions du genre : culture populaire et culture savante, culture d’obédience occidentale et culture conservatrice, etc. Expressions derrière lesquelles se cache en fait une vision idéologique égocentrique continuant à perpétuer le préjugé, hérité du XIXème siècle, selon lequel il existe autour de la Méditerranée des peuples évolués et des peuples encore en voie d’évolution. Or c’est tomber dans l’aveuglement que de ne pas tenir compte des dynamiques fécondantes des cultures : lesquelles passent outre les hiérarchies et les frontières, en se nourrissant mutuellement de multiples et riches substrats que les peuples méditerranéens ont en partage depuis des siècles.

C’est pourquoi l’un des buts de cette revue est, contrairement à toute tendance à la parcellarisation focalisant une visée purement identitaire, de mettre en évidence les formes de relation qui existent entre différentes formes d’expression, divers systèmes symboliques et sémiotiques caractéristiques des réalités méditerranéennes. Ce qui est une façon subtile de puiser dans les profondeurs de l’imaginaire commun ce qui permet de nous connaitre davantage voire de nous redécouvrir – au lieu de céder comme on le fait parfois à la simplification des discours réducteurs et sectaires. Ainsi on pourra, me semble-t-il, mieux faire ressortir les empreintes interculturelles dont nos réalités sont indélébilement marquées. Geste dont on ne saura jamais dire assez tout l’intérêt, puisque c’est par son biais que chacun peut prendre la mesure de la part de soi dans l’autre et vice-versa. D’où la nécessité de le promouvoir et de le consolider. Ce que notre Université s’attache à faire au sein de la Chaire nommée plus haut, ainsi que dans d’autres structures qu’elles soient liée à la formation ou à la recherche.

Mais ce n’est là qu’un aspect du processus de médiation que cette revue compte engager et conduire progressivement, étape par étape au fur et à mesure de ses parutions. Les études qu’elle privilégiera aussi sont celles qui inclineront à sonder la complexité qui fait la singularité de tels ou tels objets de la culture méditerranéenne, qui est révélatrice des articulations ou des interrelations qui les relient à d’autres et qui témoignent de phénomènes de brassages sans cesse édifiés en dépit de toutes les difficultés.

Loin de toute tendance nostalgique pour un passé révolu, l’important pour nous est plutôt de voir comment, à partir de pareilles explorations, interroger ce qui freine la refondation d’élans plus affirmés constitutifs d’une Méditerranée réconciliée avec elle-même, avec son histoire et l’ensemble de ses peuples. Il s’agira en somme, sans négliger de lever le voile sur les sources qui ont causé ou provoqué tout au long de son histoire ruptures ou malentendus, de travailler intelligemment sur les conditions de possibilités de nouveaux éveils et de nouvelles renaissances.

Le concept de médiations prend ainsi pleinement son sens de main tendue et de passerelle pour un passage vertueux. Tout cela en résonance tant avec la vocation de notre Université, qui fait de l’éducation aux valeurs de la culture conversationnelle un objectif stratégique, qu’avec les principes universels qu’incarne l’UNESCO et que notre Chaire s’active à décliner sur le terrain. On comprendra alors qu’un tel concept est à entendre comme action performative et non comme exercice spéculatif intransitif et improductif. Aussi les analyses que la revue développera-t-elle tout autour constitueront une masse critique originale, qui soit à même d’aider à lire lucidement dans l’avenir ce que pourra être une Méditerranée débarrassée de ses apories et de ses incertitudes.

Les contributions de ce premier numéro sont mues par cette ligne éditoriale dont nous venons de définir les termes et les perspectives. Elles abordent des thèmes variés certes, mais relatifs aux préoccupations fondamentales qui président au rôle que la revue veut jouer dans son rapport à la Méditerranée et à ses cultures, à ses défis, à ses rêves et ambitions.

Le lecteur y remarquera particulièrement une certaine inclination à revisiter des questions d’importance majeure aux plans anthropologique et historique : I) les enjeux de la diversité culturelle et linguistique entre le local et le global ; II) la fonction d’intelligibilité que revêt le récit épique articulant subtilement histoire, mythe et imaginaire ; III) le patrimoine (matériel et immatériel) considéré aussi bien dans ce qui fonde sa durabilité qu’à travers ce qui peut entraîner sa disparition ; IV) la dimension méditerranéenne des villes intérieures (cas de Fès par exemple) et le poids influent qu’elles peuvent exercer dans certains segments économiques décisifs; V) les désirs de la jeunesse et ses frustrations, VI) le monde à l’épreuve de la guerre qui se déroule à l’Est de l’Europe, etc.

On retiendra de ces contributions, malgré la différence des approches, tout au moins deux aspects essentiels. D’une part, la singularité des sujets traités et l’ouverture féconde qu’ils favorisent pour notre connaissance des cultures et des sociétés méditerranéennes. D’autre part, la nécessité d’avoir un regard différentié sur les problèmes de l’espace méditerranéen : notamment en prenant en compte l’historicité qui fonde leur multi- dimensionnalité, plutôt que de se contenter de les aborder comme s’ils étaient des objets statiques. Voilà pourquoi il me semble que ce premier numéro de « Médiations Méditerranéennes » présente le mérite, non seulement de répondre aux attentes de nombreux lecteurs et chercheurs en matière de culture et de société, mais aussi d’indiquer la voie vers le développement d’études de celles-ci où l’efficacité scientifique de la connaissance recherchée ne peut être dissociée du souci précieux de l’éthique.

* Doyen de la Faculté Euromed des sciences humaines et sociales.